Barret de Lioure, village ecclésial ? (G.Picron)

Date de publication : 14 déc. 2016 17:40:31

J’ai été récemment interpellé par la publication d’un exposé de l’ historien Yann Codou (Université de Nice) intitulé : le village ecclésial en Provence au Moyen Age.

L’auteur explique clairement la différence entre le village formé autour du château (village castral) et ceux, beaucoup moins nombreux, ayant pour origine un édifice ecclésial (village ecclésial).

J’ai pris contact avec Yann Codou en lui exposant mes arguments qui auraient pu faire de Barret-de-Lioure un « village ecclésial ».

En particulier, Yann Codou spécifie qu’un village ecclésial est « un territoire désigné dans les actes par le terme latin villa, une réalité acceptée depuis peu pour l’espace provençal ».

Il ajoute que villa, terme le plus fréquemment employé pour désigner ces formes d’occupation, peut être traduit par village ecclésial. L’adjectif ecclésial est moins restrictif que monastique bien que la plupart du temps, ces villages sont détenus par des abbayes. Il ajoute aussi que l’importance du prieuré abouti à la « victoire » du pôle monumental ecclésiastique, sanctionnée par la disparition du castrum.

L’exposé, très complet examine ensuite la topographie et l’organisation des villages ecclésiaux.

A partir de cette étude, j’ai soumis un certain nombre d’éléments à Yann Codou afin qu’il me donne son avis quant à l’appartenance de Barret de Lioure aux « villages ecclésiaux ».

Arguments

1. La famille seigneuriale des Mévouillon apparaît en 1057 avec Laugier de Mévouillon (Leodegarius de Medillone). Laugier serait le petit-fils de Laugier 1er, qui s’est fait moine après 1023. Le château de Mévouillon naît entre 1079 et 1095. En 1079, une femme du nom de Gisla, possédait la villa, le cimetière et une église à Mévouillon. Elle pourrait être la sœur de Raymond 1er de Mévouillon cité dès 1117. Elle pourrait aussi être la fille de Raimbaud et aurait transmis à son mari Rostaing une manse à Barret de Lioure en 1060 (Bois,M et al., 1997).

2. Le 20 janvier 1082, une charte de donation à l’abbaye de Cluny confirme l’appartenance de Barret de Lioure à la seigneurie de Mévouillon : l’abbaye de Cluny s’est implantée en Provence au début du Xe siècle.

« moi Ripert(I), fils de Percipia, et mon épouse Béatrice, avec nos fils Ripert, Isnard, Pierre, Raimbaud et Hugues, nous donnons pour notre âme et celles de nos parents, à Dieu, à Sainte Marie et à St Pierre de Cluny, une part de notre héritage situé dans la montagne d’Albion, dans l’évêché de Sisteron, soit tout le territoire du Labouret et du Vorze, dont les confronts sont Barret, Ferrassières, Saint-Trinit, Villesèche, Pierre-Rousse, le Pétit et Redortiers ».

3. Avant 1150 « Tilburge d’Orange et son fils Guillaume engagent à Raimond (II) de Mévouillon, à sa femme et à ses fils le château et villa de Barret pour 5.000 sols (en garantie de la dot d’Ermengarde de Mévouillon mariée à Guillaume de Baux) garants de sa restitution dans 40 jours » (R.D.,Tome 1, art.4963).

Explication : un domaine engagé était une concession dans laquelle on pouvait entrer à nouveau en remboursant le prix de l’engagement plus des « droits » déterminés par contrat (J.P. POLY, 1976).

4. Lors de chaque visite d’évêques aux 16ème, 17ème et 18ème siècle, les recommandations sont faites aux « prieurs » et pas aux « co-seigneurs » qui n’habitent d’ailleurs pas le village.

5. De plus, on dispose de la liste des prieurs de Barret de Lioure (à partir du XVIe siècle et jusqu’à la Révolution de 1789) et curieusement les deux derniers nommés sont les curés Barruol, oncle et neveu !

6. Il n’ y a jamais eu de château à l’intérieur du bourg. La tour d’angle qui subsiste partiellement de nos jours est en réalité un « ravelin »( ou tour de guêt), ainsi qu’elle est dénommée dans le cadastre de de 1786. Le castrum dont on relève certaines évocations au 12ème siècle devait se situer sur le promontoir à l’Est de la maison d’André Reynaud.

7. Le prieuré est bien le bâtiment situé au Nord du cimetière qui fut vendu comme bien national en 1792.

8. Dans la première moitié du XIIe siècle, l’abbaye de Saint André de Villeneuve les Avignon (fondée à la fin du Xe siècle) est bien implantér dans la haute vallée du Toulourenc avec les églises de Reilhanette, de Montbrun, d’Aulan, une de celles de Mévouillon, Ferrassières, Séderon et Barret de Lioure (présence attestée en 1119).

9. Guy Barruol (2001) a étudié le temporel de l’abbaye de St André. Selon lui, le rayonnement de St André se fit essentiellement en Haute Provence. Les sources médiévales concernant Barret de Lioure datent de 1119, 1143, 1147, 1178 et 1227.

10. Le plan cadastral du bourg (1813) situe parfaitement le rôle central de l’église à l’intérieur de l’enceinte.

Conclusions

Une première conclusion est extraite du texte de Yann Codou : « La persistance du mot villa plaide en faveur du fait que les moines n’ontpas érigé d’élément fortifié, en particulier de château, probablement en réaction au processus de militarisation ».

Yann Codou poursuit « Pour la majorité des cas de « villages ecclésiaux » inventoriés, je tendrais à placer ces réalisations entre le Xie et le XIIIe siècle, et à les rapporter aux phénomènes d’expansion des temporels monastiques et de développement des prieurés ruraux ».

Ce dossier présenté à Yann Codou a bénéficié de l’apprécition suivante : «Vous avez là un beau dossier ».

Gilbert Picron