Exposition Roswit & Klaus Balke - Allocution de Justin Winkler
Les Amis de Barret de Lioure
Exposition Roswit & Klaus Balke - Allocution de Justin Winkler
Ci-dessous en intégralité, l’allocution faite à l'occasion du vernissage de l'exposition tenue à Montbrun-les-Bains du 14 au 20 août 2023 par Justin Winkler, ami du couple Balke, qui s’est adressé devant l’assemblée à deux chaises vides représentant le couple d'artistes prestigieux auquel il rendait hommage.
Roswit et Klaus Balke, exposition commémorative 2023
Toi, Roswit, étais d’une année aînée de Klaus et, nous as quittés en 2019, à l’âge de 90 ans ; et toi, Klaus, tu nous as quittés au solstice d’été de l’année 2022, à l’âge de 93 ans. Je vous salue, et je salue vos amis qui se sont réunis ici. Il n’a guère été possible de se dire adieu, les aller-retour de Cologne à Barret-de-Lioure sont devenus un fardeau, la disparition de Roswit a été soudaine, celle de Klaus progressive.
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Si tous les artistes étaient aussi narcissiques qu’on a l’habitude de leur reprocher selon une idée reçue ils emmèneraient leurs ouvrages avec eux. Cela n’est évidemment pas le cas, les toiles, gouaches et dessins sont bel et bien là. Roswit et Klaus, vous nous avez laissé vos créations, vous nous avez et fait cadeau de votre vision du monde provençal et des produits de cette inspiration, afin que nous nous en inspirions. En cela consiste toute votre quête – cette quête de résistance, de liberté et de paix que vous a inspirée l’histoire de votre jeunesse. Vous faites partie d’une génération qui a grandi sous la pression d’une idéologie totalitaire, qui a vécu la deuxième guerre mondiale, qui a éprouvé la destruction, la captivité, et la pénurie, mais qui a également participé à la reconstruction et à l’essor économique. Vous avez redécouvert la religion après les années noires d’idéologie raciste noire, et le monument réalisé par Klaus à Cologne en hommage aux travailleurs forcés russes fusillés vous êtes devenus activistes pour la paix en pleine guerre froide, et êtes allés ainsi jusqu’à Moscou, alors que cette ville se trouvait encore loin derrière le rideau de fer.
En 1973 vous avez repéré Barret-en-Ruines et investi son école, où vous avez bossé dur pour rétablir l’honneur du bâtiment et de rendre celui-ci habitable.
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Comme toi, Roswit, tu es partie la première, Klaus nous est resté comme figure unique occupant l’horizon du temps en longueur et largeur. Dans ce déséquilibre, il convient que je t’aborde la première. Tu es issue d’une famille originaire des côtes de la mer Baltique, une famille déjà forte en production artistique, proche de courants artistiques en résistance aux règles du nazisme. Tu as grandi à Aix-la-Chapelle et fait tes études à l’Ecole des Beaux Art de Cologne. Tu as hérité d’une vision spirituelle presque chamanique du monde, proche des intuitions les plus éthérées, mais aussi de la lourdeur de la vie d’une mère de sept enfants qui en a vu mourir deux de ton vivant.
J’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois pour formuler un texte qui accompagne une exposition de tes tableaux, mais je l’ai définitivement raté de ton vivant. J’ai échoué sur tes toiles où sont représentées en apparence les montagnes de ce coin, mais où sont réellement signifiés des anges qui émanent de cette terre. Tu as réussi, par le biais des couleurs, à donner au monde lourd des sols une transparence où les ombres n’obéissent plus aux objets qui les produisent, mais prennent vie de leur plein gré. C’est ta Provence si chérie, parente de celle d’un Henri Bosco, où le mystère règne au détriment de la banalisation esthétique au service du tourisme.
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Toi Klaus, es venu de Detmold, d’une famille dont la grand-mère a dirigé une école de peinture. Tu as fait un apprentissage d’orfèvre chez ta tante. A Detmold tu as eu comme enseignant et modèle le sculpteur et dessinateur Karl Ehlers, dont certaines œuvres avaient été réquisitionnées en 1937, considérées comme art dégénéré par le pouvoir du Reich. Adolescent, tu as été forcé d’endosser le rôle de transmetteur dans le dernier carré de la guerre, ce qui t’a mené en captivité américaine. Sous ces auspices, tu as entamé l’avenir sans illusions, mais avec un souci de solidifier la paix contre toutes les corruptions. A Cologne, tu as partagé avec Roswit l’enseignement d’Anton Wendling qui était connu pour ses vitraux expressionnistes. Il faut mentionner ce côté religieux, parce que déjà à l’époque l’école de Cologne avait produit avec les Böhm des architectes d’église exceptionnels. En 2021 il t’a été difficile de voir disparaître ton ami Gottfried Böhm.
Si j’ai assimilé le monde provençal de Roswit à celui d’Henri Bosco, je vois que le tien a été davantage dans les rêves que le sien. Mais je ne trouve pas d’auteur aussi immergé dans une inspiration dionysiaque que la tienne, ne serait-ce celle de Jean Giono en lien imperturbable avec la mythologie antique. Des deux livres qui ont suffi pour t’accompagner dans ta vie, la biographie de Maître Eckhart et Les Métamorphoses d’Ovide, ce dernier révèle ton enracinement spirituel dans l’antiquité. Derrière chaque rocher un être panique, mi-homme mi-bête, se lance dans le jet de tes couleurs et matériaux. Matériaux, oui, parce que l’orfèvre, que tu étais au départ, a maîtrisé toutes sortes de matériaux et s’est aussi bâti une réputation de peintre de fresques. C’est quoi les fresques ? C’est un peu comme si on peignait avec de la terre sur le sol, mais ce sol est, à l’instar d’une toile, érigée en mur en pierre.
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Roswit, tu avais nommé la Provence « notre paradis », le paradis de toi et de Klaus, ainsi que de vos enfants, et de vos amis, et de leur amis. Ce paradis qui par sa lenteur laisse fermenter rêves et visions, et aiguise à la fois la perception du visible et celle de ce qui est caché. Ce pays fait de chant et de musique, humaine et animale, ancienne et contemporaine. Ce pays qui offre de la bouffe enfin, délicieuse et inspirante. Cette Provence paradisiaque n’était évidemment pas que des vistas et des cadres de vues, mais faite de tablées, de relations vivantes, chaleureuses et amicales avec le monde autour de vous. J’ai l’honneur d’être rentré dans ce cercle et je vous remercie de votre passage au Barret au nom de vos amis et de celles et ceux qui aujourd’hui sont présents dans cette salle.
Justin Winkler, 14 août 2023